Aimer selon soi, être attendu selon l’autre : quand les formes d’amour ne se rencontrent pas.
- sandrine gourdy
- 25 juil.
- 4 min de lecture

"Nous n'aimons pas les autres tels qu'ils sont. Nous les aimons tels que nous avons besoin qu'ils soient."— Paul Valéry
Il existe dans les relations humaines un terrain à la fois sensible et peu exploré : celui des attentes affectives. Ces attentes ne sont pas toujours conscientes, ni toujours formulées. Elles naissent souvent dans le silence de nos gestes, dans l'intime de nos manques, dans les failles que nous n'osons pas nommer. Et lorsqu'elles ne trouvent pas de réponse, non pas parce que l'autre ne nous aime pas, mais parce qu'il ne nous aime pas comme nous en aurions eu besoin, alors naît une blessure insidieuse. Une blessure faite de décalage plus que d'abandon, d'incompréhension plus que de rejet.
Ce texte naît d'un vécu, mais il se veut aussi une proposition de réflexion élargie : sur la manière dont nous projetons nos besoins sur les autres, sur la diversité des formes d'amour, sur l'écart entre intentions et perceptions, et sur les espaces d'invisibilité que cela crée dans les liens, même profonds.
Le paradoxe des attentions : être aimé·e sans se sentir rejoint·e
"Le plus douloureux, ce n'est pas de ne pas être aimé, c'est de ne pas être compris."— Jacques Salomé
Il est possible d'être aimé·e sincèrement, et pourtant de se sentir seul·e. Combien de fois avons-nous reçu des messages d’affection, des paroles rassurantes, des "je pense à toi" — et pourtant, au fond de nous, quelque chose reste vide ?
Ce n’est pas que l’amour n’est pas là. Il est. Mais il ne touche pas la partie de nous qui avait besoin d’être rejointe. Il manque une concordance entre l’offre et la demande affective, entre le canal choisi par l’autre et celui que nous attendions, sans le dire, sans toujours le savoir nous-mêmes.
Ce paradoxe crée une grande solitude : celle de se sentir traversé par l’amour, mais non nourri. Comme si la main tendue n’avait pas touché l’épaule.
L'image projetée : la force qui isole
"Là où il y a la force, il y a souvent le silence autour de la douleur."— Carl Gustav Jung
Certaines personnes, du fait de leur posture d’écoute, de leur parcours, ou de leur engagement professionnel, deviennent symboliquement des "figures de force". On attend d’elles qu’elles tiennent, qu’elles soutiennent, qu’elles comprennent, qu’elles se relèvent seules.
Ce regard extérieur devient une cage. Car il empêche toute permission de vulnérabilité. Il fait taire les appels à l’aide sous prétexte qu’ils seraient incongrus dans cette posture.
Et ainsi, peu à peu, la solidité devient un masque. Un masque que l’on finit par confondre avec son propre visage. Jusqu'à ce que l’abandon ressenti — même involontaire — ne résonne plus seulement comme une absence, mais comme une trahison de l’image qu’on entretient de soi.
Les langages de l’amour : un dialogue manqué
"Nous donnons ce que nous aimerions recevoir, et nous oublions de demander à l’autre ce dont il a vraiment besoin."— Marshall Rosenberg
Les langages de l’amour sont multiples :
les paroles valorisantes,
les actes concrets,
le temps partagé,
le toucher,
les cadeaux symboliques.
Chacun de nous a un ou plusieurs langages prédominants. Et souvent, nous donnons ce que nous aimerions recevoir. Mais lorsque deux personnes ne partagent pas le même langage, l'amour devient un malentendu. L'un donne, l'autre ne reçoit pas. L'un exprime, l'autre ne comprend pas.
Apprendre à aimer, c'est aussi apprendre à traduire. Et à poser cette question simple, mais si rare : "Comment puis-je vraiment être là pour toi ?"
L’absence concrète : quand les gestes ne viennent pas
"Le contraire de l'amour n'est pas la haine, c'est l'indifférence."— Elie Wiesel
Il y a dans certains moments de vie une attente silencieuse d’être rejoint dans le réel : non pas par un mot, mais par une présence. Un appel. Un passage. Une main sur l’épaule.
Quand ces gestes ne viennent pas, c’est une autre douleur qui surgit : celle de l’invisibilité. Pas l’oubli. Pas le rejet. Mais l’impossibilité pour l’autre de descendre dans notre réalité émotionnelle.
Et c’est souvent là que naît la colère : pas contre l’absence d’amour, mais contre l’absence d'incarnation de cet amour.
Parfois, même les gestes qui viennent sont maladroits. Ils peuvent porter un message double, ambivalent : "Je suis là parce que tu en as besoin." Ce genre de phrase semble dire : "Je sens que tu vas mal, je ne pouvais pas ne pas être là." Mais ce que l'on reçoit, ce que l'on entend, c'est parfois : "Je ne suis pas là parce que j'en ai envie, mais parce que je n'ai pas eu le courage de ne pas être là." Et cela insinue que notre douleur est une charge, une responsabilité imposée à l'autre. Ce sont des paroles qui blessent sans intention de nuire, mais qui laissent une trace. Car dans certaines circonstances, ce qu'on ne dit pas aurait été plus doux.
La responsabilité de se dire : le courage de nommer ses besoins
"Ce qui ne se dit pas s'imprime. Ce qui ne s'exprime pas s'imprime."— Jacques Salomé
Nous avons parfois peur d'être étiquetés comme "trop sensibles", "trop exigeants", ou "pas reconnaissants". Alors nous taisons. Nous relativisons. Nous comprenons l’autre avant de nous comprendre nous-mêmes.
Mais à force de silence, nous nous invisibilisons nous-mêmes.
Dire "j’aurais eu besoin que tu sois là" n’est pas une attaque. C’est une reconnaissance de notre humanité.
Apprendre à se dire, c’est offrir à l’autre la possibilité de nous rejoindre véritablement, au lieu de le laisser s’égarer dans ses projections ou ses intentions mal ajustées.
Pour ouvrir le débat : écouter, traduire, ajuster
Ce texte est une tentative de mettre en lumière un phénomène fréquent, discret, et pourtant central dans les relations humaines : le décalage affectif.
Nous avons tous besoin d’être aimés, mais plus encore : nous avons besoin d’être aimés de manière reconnaissable pour nous.
Et si nous apprenions à mieux nous dire ? Et si nous cessions de présumer des besoins de l’autre, pour les lui demander, simplement ? Et si nous acceptions que l’amour seul ne suffit pas, s’il ne sait pas prendre forme dans la présence, dans l’écoute, dans le respect de la langue affective de l’autre ?
Ce sont des questions à ouvrir, à porter en soi, à débattre peut-être. Pour que nos liens ne soient pas seulement sincères, mais aussi vivants, nourrissants, et ajustés.

"L'amour, ce n'est pas se regarder l'un l'autre, c'est regarder ensemble dans la même direction."— Antoine de Saint-Exupéry
Sandrine Gourdy🌺
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