Novak ...L’histoire d’une rencontre.
- sandrine gourdy

- 4 déc.
- 9 min de lecture
Dernière mise à jour : 4 déc.
L’histoire d’un chien rescapé de Roumanie.
Le 11 novembre, j’ai publié un article intitulé « Quand la vie choisit à travers nous ».
J’y parlais de ces moments où la raison nous retient, où tout invite à rester dans ce que l’on connaît, alors qu’un mouvement plus profond résiste, insiste, pousse à avancer.
Ce que je ne vous disais pas, c’est que pendant que j’écrivais ce texte, j’étais en plein dedans. Déchirée entre la logique, la peur de sortir de ma zone de confort, et un élan intérieur que je n’arrivais pas à faire taire.
Ce choix avait une histoire, un regard, et quelque chose qui m’a appelée sans que je comprenne pourquoi.
Ce choix s’appelait Novak.
Un chien venu de Roumanie.
D’où vient Novak?

Pour comprendre ce chien, il faut comprendre son pays.
En Roumanie, la présence massive de chiens errants n’est pas un hasard ni une simple négligence. Elle vient directement de l’histoire politique du pays. À la fin des années 1970 et au début des années 1980, sous la dictature de Ceaușescu, d’immenses quartiers ont été rasés pour construire des blocs d’appartements standardisés. Les familles ont été relogées de force dans ces immeubles où les chiens étaient interdits. Des milliers d’animaux domestiques ont été laissés dehors. Ils se sont reproduits dans la rue.
Pendant des décennies, il n’y a eu aucune politique nationale de stérilisation. Les municipalités ont laissé la situation exploser. Les portées se sont succédé. Et les chiens errants sont devenus une donnée du paysage urbain.
Dans ce contexte, le chien de rue n’est pas perçu comme un compagnon, mais comme un problème sanitaire ou un nuisible. On apprend aux enfants, dès le plus jeune âge, à les chasser, souvent à coups de pierres, parce que c’est ce qu’on leur montre. Et de nombreux adultes, dans certaines régions, les maltraitent ouvertement, non par accident, mais parce que cela est culturellement accepté.
Pour gérer la surpopulation, l’État a mis en place des équipes de capture, les dogcatchers, payés au chien attrapé. Les chiens sont envoyés dans des fourrières publiques où les conditions sont extrêmes : surpopulation, absence de soins, faim, maladies, froid, absence totale d’hygiène. Les ONG rapportent régulièrement des cas de chiens battus, pendus, tués à coups de pelle ou laissés à l’agonie.
Il faut le dire clairement : ce dispositif n’a rien d’un système de protection animale. C’est seulement une politique de gestion administrative du vivant, dont l’objectif est de vider les rues des chiens, quelle qu’en soit la manière.
Dans ces conditions, un chien n’apprend pas la confiance ; il apprend à survivre.
Et cet apprentissage dépasse l’individu. Depuis quarante ans, il existe un héritage comportemental : des chiens qui naissent dans l’hypervigilance, la fuite, la prudence extrême. Ils n’ont pas besoin de vivre un traumatisme personnel ; ils naissent déjà traumatisés, parce que l’environnement depuis plusieurs générations leur enseigne que l’humain est une menace.
La résistance : ces refuges qui se battent pour chaque vie
Heureusement, il existe en Roumanie une autre force :celle des femmes et des hommes qui ont décidé de ne pas détourner les yeux.
C’est le cas du refuge d’Alina & Anda, l’un des plus respectés du pays.
Elles récupèrent des chiens partout :dans les rues, dans les fossés, devant les magasins, dans les fourrières où ils n’ont plus aucune chance.
Elles vivent avec 350 à 400 chiens à sauver, nourrir, soigner, sécuriser.Elles sont souvent débordées, toujours épuisées, mais elles tiennent.Parce que pour elles, une vie est une vie.
Et c’est là que des associations comme Célestia entrent en jeu : elles font le lien entre ces refuges roumains et des familles en France ou en Belgique, capables d’offrir un vrai foyer.
C’est de là que vient Novak.
La suite de son parcours en France n’a pas été simple, et la première adoption a malheureusement ajouté une couche de fragilité à ce qu’il portait déjà.
Une première adoption qui l’a encore fragilisé, un rappel essentiel

Quand Novak est arrivé dans sa première famille, il était dans un état de sidération profonde, une forme de détresse acquise.
La détresse acquise vient du fait qu’au fil des expériences, le chien comprend que quoi qu’il fasse, il est en danger. Qu’il essaye de fuir, d’appeler à l’aide ou de se cacher, il finit par apprendre que cela n’a aucun effet. Alors il arrête d’essayer. Il vit dans un profond désespoir, éteignant peu à peu tout ce qui pourrait le relier au monde.
L’environnement dans lequel il a été placé était inadapté à un chien dans cet état-là. Ce n’est pas que la personne était mal intentionnée. Elle était certainement pleine de bonne volonté, mais ce n’était pas une adoption suffisamment lucide ou consciente.
Pour ces chiens-là, la bonne volonté ne suffit pas.
Ils ont besoin d’un cadre calme, de régularité, d’une compréhension fine de leurs besoins, parfois d’un accompagnement par des personnes expérimentées ou des professionnels.
Accueillir un chien roumain demande un engagement réel, de la patience, de la connaissance, et une vraie préparation.
Et parfois, malgré des démarches sérieuses en amont, certaines adoptions ne se passent pas bien. Dans le cas de Novak, non seulement son état s’est aggravé, mais il s’est retrouvé confronté à quelque chose de plus violent encore : la personne, dépassée, s’en est débarrassée comme on se débarrasse d’un problème. Pas comme on prend soin d’un être vivant, encore moins d’un être traumatisé qui dépend entièrement de nous.
Cela a créé un effondrement supplémentaire pour lui.
Il a fallu trouver une solution en urgence, car un chien dans cet état ne peut pas être laissé sans prise en charge et il était impensable qu’il retourne en Roumanie.
C’est dans cette urgence-là que l'association Célestia a dû intervenir de nouveau pour le mettre en sécurité.
Ingrid : celle qui lui a offert une transition juste, et qui m’a appris à lire Novak
Novak a alors été confié à Ingrid, famille d’accueil expérimentée de Célestia.
Et cette rencontre a été déterminante.
Ingrid comprend ces chiens-là avec une précision et une douceur rares.
Elle observe avec patience.
Elle écoute avant d’agir.
Elle respecte la peur au lieu d’essayer de la corriger.
Avec ces chiens traumatisés, elle ne force rien.
Elle laisse le choix, laisse l’espace, laisse le temps.
Avec Novak, elle a repris les toutes premières bases dont il avait besoin pour se stabiliser un peu : une routine simple, des gestes cohérents, une prévisibilité totale, la liberté d’avancer ou de s’éloigner à son rythme. Pas de prouesses, pas de “techniques miracles”. Juste une justesse dans chaque petit geste répété.
Et c’est dans ces gestes-là, invisibles pour la plupart des gens, que Novak a connu l’extraordinaire : un espace où il n’était plus obligé de se défendre.

Les chiens d’Ingrid, ses assistants poilus, ont joué un rôle essentiel.
Ils lui ont montré que l’humain peut être fiable, doux, stable.
Ils lui ont offert un modèle de relation qu’il n’avait jamais connu.
Lors de nos échanges, elle m’a appris à regarder différemment.
Elle m’a appris les signaux d’apaisement, les micro-« non », les micro-« oui », les nuances minuscules qui disent tout chez un chien traumatisé.
Elle m’a transmis des ressources, des lectures, des pistes pour comprendre les bases du langage canin, ces clés simples mais essentielles qui changent tout.
Je n’avais jamais été confrontée à un chien traumatisé comme Novak.
Je n’étais pas consciente de mon ignorance.
Et c’est là que quelque chose a commencé à bouger pour moi.
Dernièrement, Ingrid m’a transmis une phrase qui a profondément résonné pour moi :
« Les chiens ont un moyen unique de trouver les personnes qui ont besoin d’eux et de remplir un vide que nous ne savions pas exister. »
Avec Novak, j’ai compris à quel point c’était vrai.
⭐ Ce que Novak révèle en moi
Avec Novak, j’apprends autrement.
Ce qu’il m’apporte n’a rien d’une jolie leçon de patience .
C’est plus intime, plus vrai, parfois même déstabilisant, parce qu’il me renvoie à des endroits de moi que j’avais laissés de côté.
Depuis des années, j’ai avancé avec force et lucidité, mais aussi avec une certaine dureté envers moi-même.
J’ai tenu debout coûte que coûte, même quand tout en moi demandait de lâcher.
Par peur.
Par habitude de porter et de “faire avec”.
Par loyauté envers ceux que j’aime.
Par nécessité, aussi.
À force, on finit par ne plus entendre ce qui se passe en soi.
On finit par perdre ses repères, par passer à côté de soi, parfois longtemps.
On finit même par se nier.
Ce n’est ni un manque de conscience ni de courage.
C’est une manière d’avancer pour ne pas s’écrouler.
Mais cela a un coût : celui de s’oublier, de perdre l'équilibre.
Et puis Novak est arrivé.
Un chien qui ne cache rien, en perpétuel hypervigilance.
Sa fragilité a fait écho à la mienne.
Sa peur a réveillé ce que j’avais laissé de côté.
Sa retenue m’a forcée à voir ce que j’avais négligé.
Sa sensibilité m’a renvoyée à la mienne.
Dans son regard, j’ai reconnu une sensibilité proche de la mienne, une force douce et retenue.
Avec lui, j’ai dû apprendre à ralentir, à écouter autrement, à répondre avec ma présence plutôt qu’avec mon mental.
Je comprends aujourd’hui que j’entre dans un nouveau cycle : un mouvement qui demande de respecter mes limites, de ne plus me renier, de ne plus étouffer ce qui tremble en moi sous prétexte d’être forte ou disponible.
Novak m’aide à réapprendre cela :
une présence qui ne se sacrifie plus,
une écoute qui ne s’efface plus,
un soin de l’autre qui ne doit jamais coûter le soin de soi.
Le sens de son prénom, Novak
J’ai découvert que Novak veut dire « le nouveau », « celui qui arrive », « celui qui ouvre un autre chapitre ».
C’est un nom qui parle de recommencement, d’un nouveau départ possible, même quand on vient de loin, même quand on a connu l’abandon et la maltraitance, même quand la vie nous a mis à l’épreuve dès le départ.
Et moi aussi, j’étais dans un moment de transition, de réorganisation.
Tout se déplaçait, tout demandait à être revu autrement.
Le sens de son prénom n’avait rien d’un signe étrange : il a simplement confirmé ce que je ressentais déjà, sans réussir à le manifester clairement.
Je n’ai pas choisi son nom.
Il s’est imposé comme une évidence.
Et aujourd’hui, il reflète ce qu’il apporte dans ma vie : une autre manière d’avancer, un nouveau chapitre, une façon plus juste d’être présente à moi-même, mais aussi à lui.
Parce que ce chemin n’est pas seulement le mien.
C’est le nôtre.

Novak trouve sa place, et moi je trouve une manière différente de me tenir au monde.
Et au milieu de tout ça, il y a aussi Solly, Tchoupi et les cinq chats, notre petite tribu qui se réorganise autour de cette nouvelle présence.
Cela crée du mouvement, une nouvelle dynamique, un autre équilibre qui se cherche.
Chacun ajuste un peu sa place, et moi avec eux.
Quand je repense à ce qui m’a conduite jusqu’à lui, je ne crois pas avoir vraiment “choisi” Novak.
J’ai plutôt l’impression que nos trajectoires se sont rejointes au moment précis où elles le pouvaient.
Aujourd’hui, cela fait presque trois semaines qu’il est là.
Et en si peu de temps, il a déjà fait des progrès immenses.
Il mange, il se repose, il s’autorise des élans, il cherche le contact.
Ingrid me l’avait dit : « Novak choisit ».
Et il m’a choisie, lui aussi.
Avec prudence, mais clairement.
Ce n’est pas l’histoire d’un sauvetage.
Ce n’est pas celle d’une héroïne.
C’est l’histoire d’une rencontre.
Celle d’un être vivant qui a traversé l’effroi,
et d’une femme qui avait besoin de bouger les lignes pour enfin habiter sa vie autrement.
Novak n’a pas seulement trouvé un foyer.
Il a ouvert un chapitre que je n’aurais jamais écrit seule.
Et je crois que, moi aussi, d’une certaine façon, je suis devenue “nouvelle” avec lui.
Conclusion :
On croit sauver un chien… puis on découvre que c’est lui qui nous sauve un peu
Novak vient d’un monde dur,mais il porte une lumière douce.
Il vient de l’invisibilité,et pourtant il révèle.
Il vient de la peur,et pourtant il m’apprend la confiance.
Il vient de la rue,et pourtant il ouvre un espace en moi que je n’avais pas encore exploré.
Ce n’est pas une adoption. C’est une rencontre.
Une de celles que la vie place sur votre route parce qu’elle sait très bien ce qu’elle fait.
Et ce chien-là, ce chien délicat, ce chien sensible ,ce chien que personne ne regardait vraiment…a ouvert une porte que je n’avais jamais osé pousser seule.
Ce choix s’appelle Novak.
Et je crois profondémentque ce choix-là, c’est la vie qui l’a fait à travers moi.
Et si aujourd’hui je vous parle de lui, ce n’est pas seulement pour raconter notre histoire.
C’est aussi pour attirer l’attention sur tous ceux qui, comme lui, attendent encore une chance.
Parce que derrière Novak, il y a des centaines d’autres vies.
Appel aux dons
L’hiver commence, et c’est la période la plus difficile pour les chiens des rues en Roumanie et pour les refuges qui tentent de les sauver.
Le froid, la maladie, le manque de nourriture, les soins vétérinaires…
Les besoins explosent à cette période de l’année.
Le refuge d’Alina & Anda et l’association Célestia fonctionnent uniquement grâce à des bénévoles.
Pas de subventions.
Pas d’aides publiques.
Juste des femmes et des hommes qui donnent leur temps, leur énergie, leur argent personnel pour sauver des vies qui autrement seraient condamnées.
J’ai vu ce que leur engagement a permis pour Novak.
Et à mon niveau, j’aimerais contribuer à mon tour.
Si vous souhaitez les soutenir, même modestement, voici leur lien officiel :

Un don, quel qu’il soit, nourrit, soigne, réchauffe, transporte. Mais surtout… il donne une chance.
Parfois la seule chance qu’ils auront.
Merci, vraiment, pour celles et ceux qui prendront le temps d’aider.
Et merci d’avoir lu jusqu’au bout.
Sandrine Gourdy
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