Interrompre ce qui se répète, sans perdre ce qui relie
- sandrine gourdy

- 25 nov.
- 5 min de lecture
Il y a des textes qui naissent d’un chemin intérieur.
Celui-ci parle des familles,
des liens,
et de ces moments où l’on apprend à aimer autrement.
On croit souvent que les histoires familiales appartiennent au passé.
J’ai longtemps voulu le croire aussi.
Mais ce que la vie m’a montré, c’est que certaines blessures traversent les générations comme un fil rouge, discret mais tenace, qui finit toujours par se tendre quelque part.
Il y a des familles où l’amour circule,
mais où la douceur peine à trouver sa place.
Des familles où l’on s’aime,
mais sans se comprendre.
Où l’on se cherche,
sans se trouver.
Où chacun avance avec ce qu’il a reçu : parfois trop,
parfois pas assez.

Je sais ce que c’est que de grandir dans une lignée où les femmes ont aimé fort,
mais souvent maladroitement.
Des femmes qui ont tout porté, parfois trop,
qui ont élevé seules,
qui ont tenu debout pour tout le monde,
qui ont donné sans avoir reçu l’essentiel.
Des femmes courageuses mais fatiguées,
qui n’avaient pas d’espace pour leur propre douceur,
qui ont aimé comme elles ont pu,
avec les moyens qu’elles avaient,
avec ce qu’on leur avait transmis,
souvent rien,
ou trop de douleurs qu’elles n’avaient jamais pu déposer.
Elles voulaient bien faire,
mais elles manquaient de soutien,
de mots,
de paix,
de tendresse.
Et cette solitude-là,
celle des femmes qui doivent tout assurer,
laisse aussi des traces dans le cœur des enfants.
Et je sais aussi ce que c’est de grandir dans des familles où les pères n’ont pas toujours su prendre leur place :
parfois absents,
parfois dépassés,
parfois trop silencieux,
parfois en fuite devant leurs propres fragilités.
Des hommes qui n’étaient pas mauvais,
mais qui n’ont pas trouvé comment être là vraiment,
laissant aux mères des rôles trop lourds
et aux enfants des manques difficiles à nommer.
Et puis vient l’âge où l’on devient parent soi-même.
On fait du mieux qu’on peut.
On essaie de faire autrement,
avec ce que l’on sait,
avec ce que l’on a compris,
avec ce que la vie a transformé en nous.
Mais personne ne nous prépare à la suite du chemin :
devenir parent d’adultes.
C’est un passage intérieur, subtil et rude à la fois.
On découvre que nos enfants portent leur propre histoire,
leurs propres blessures,
leurs propres alliances,
leurs propres loyautés.
Et parfois leurs propres incompréhensions.
On découvre qu’ils font des choix qui nous déstabilisent,
ou nous renvoient des scènes étrangement familières,
comme si la lignée cherchait encore un endroit où déposer ses nœuds.
On découvre que ce qui se joue entre eux et nous
n’est pas une question d’amour manquant,
mais d’histoires anciennes qui cherchent à être comprises.

Je ne fais pas exception à la règle.
Moi aussi, il m’est arrivé d’observer des situations qui réveillent des mémoires que je croyais apaisées.
Moi aussi, j’ai senti au fond de moi la petite fille qui attend,
qui espère,
qui voudrait que les choses soient simples,
justes,
fluides.
Et puis il y a les moments moins “beaux”, ceux dont on ne parle presque jamais.
Ces moments où tout se bouscule à l’intérieur : la fatigue, l’injustice, la colère, la tristesse qui revient par vagues.
Où l’on se sent dépassé, touché en plein cœur, sans comprendre comment on en est arrivé là.
Et parfois, on repense à des choses très simples :
ces matins où, au lieu de les pousser hors du lit, on décidait ensemble que “aujourd’hui, ce sera une RTT d’école”,
ces jours où on restait à la maison à regarder un film en mangeant des sandwiches, simplement parce que c’était ce dont on avait besoin,
et ces soirs d’avant-rentrée où, pendant que tout le monde imposait le coucher à 20 h 30,
nous on était encore dehors, à faire un pique-nique,
à rire,
à marcher dans le sable, admirer le coucher du soleil,
à profiter comme si le temps ne nous rattraperait jamais.
On repense à la complicité,
à cette liberté qu’on s’était inventée,
à cette manière d’être maman qui ne suivait pas toujours les règles,
mais qui venait du cœur.
On les prenait dans nos bras le soir
en se disant que jamais rien ne pourrait casser cet amour-là.
Et c’est justement cet écart , entre ce lien si vivant d’avant et la distance d’aujourd’hui,
qui fait aussi mal.
On avance quand même, mais avec un poids qui tire vers le bas.
Ce sont des passages difficiles, très humains, qu’on traverse souvent seul.
Et pourtant, ce sont eux qui nous obligent à nous écouter vraiment
et à prendre enfin soin de ce qui a été trop longtemps mis de côté.
Moi aussi, j’ai appris que l’amour ne suffit pas toujours à empêcher les distances,
les malentendus,
les silences.
Mais c’est là, justement,
que commence l’étape la plus importante de la psychogénéalogie :
interrompre ce qui se répète
sans perdre ce qui relie.
Devenir l’adulte qui dit :
« Je reste droit.
Je reste aimant.
Ici.
Présent.
Mais je ne me renie plus. »
Aimer ses enfants adultes,
ce n’est plus les guider.
Ce n’est plus les corriger.
Ce n’est plus réparer leur monde.
C’est être là,
stable,
présent,
sans se sacrifier,
sans se diminuer,
sans rejouer les rôles qui ont abîmé les générations d’avant.
C’est apprendre la douceur avec soi-même
quand la vie devient injuste.
C’est apprendre à tenir sa place
quand d’autres voudraient l’effacer.
C’est apprendre à écouter
sans se trahir.
C’est apprendre à aimer
sans s’effondrer.
Chaque famille porte ses énigmes.
Chaque enfant porte ce qu’il peut.
Chaque parent porte ce qu’il a eu.
Et chacun avance avec ce qui lui manque ou avec ce que la vie lui a demandé trop tôt.
Mais au bout du chemin,
il y a toujours quelqu’un
qui choisit de vivre autrement,
qui choisit la conscience,
qui choisit de ne plus répéter,
qui choisit d’aimer sans se perdre.
Peut-être que ce rôle-là,
dans ma lignée,
il m’appartient.
Peut-être qu’il appartient aussi à ceux qui me lisent.
Peut-être qu’à notre manière,
chacun de nous est en train de réparer quelque chose
qu’il ne comprend pas entièrement,
mais qu’il ressent profondément.
Parce qu’un jour,
quelqu’un doit dire :
« Ça s’arrête ici.
Et ça continue autrement. »
Et quand ce moment arrive,
quelque chose en nous se redresse.
On ne sait pas encore où cela mène,
ni ce que cela transformera,
mais on sent simplement que le chemin change.
Ce n’est pas une rupture,
ce n’est pas un abandon,
ce n’est pas un adieu.
C’est une façon nouvelle d’habiter le monde,
de s’habiter soi-même,
de marcher plus légèrement.
On avance alors avec plus de vérité,
moins de poids,
moins d’attentes,
et plus de présence.
On avance en sachant que chacun,
enfants, parents, ancêtres, et même les liens encore difficiles
fait du mieux qu’il peut avec ce qu’il a.
On avance en laissant la porte ouverte,
mais en gardant la main sur sa propre clé.
On avance enfin vers ce qui nous ressemble vraiment,
avec cette tranquille certitude que la vie sait réunir ce qui doit l’être,
au moment juste,
dans la forme juste,
et avec les cœurs prêts.
Parce qu’au fond,
rien n’est jamais définitivement perdu
lorsque l’on avance sans se renier.
Sandrine Gourdy
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